«Il y a urgence à penser nos formes d’affection jusqu’à la mort, ce que les hétéros ont institutionnalisé depuis longtemps. Je ne retournerai pas mourir chez maman.»
Daniel Defert, Lettre proposant la création de AIDES, 25 septembre 1984 Cher Daniel, Aujourd’hui ont lieu tes obsèques. Tu n’habitais pas seul avec maman, dans un très vieil appartement, rue Sarasate. Dès les années 1960, tu vivais avec Michel, dans un vaste appartement, rue Vaugirard. Avec ton daddy auteur de Surveiller et punir, vous vous êtes aimés près de 20 ans. Unis dans la (tur)lutte des classes, vous militiez aux côtés de la gauche prolétarienne et défendiez les droits des prisonniers, avec le Groupe d’information sur les prisons. Et puis… Et puis si s’aimer d’amour, c’est mourir d’aimer, alors Michel a beaucoup aimé. Toi, ses amants, ses rencontres d’un soir. Début des années 1980, vous saviez peu de choses sur le VIH et le SIDA. Quand il est hospitalisé, Foucault pense que c’est autre chose. La réalité lui donnera tort. Tu restes, à ses côtés, puis à nos côtés. Veuf depuis moins de 6 mois, tu crées AIDES et enjoins les personnes à te rejoindre. Tu assures la présidence jusqu’en 1991 et, contrairement à beaucoup d’ami·es, ce n’est la maladie qui t’emporte. Tu poursuis la lutte contre le VIH/SIDA et participe à l’édition de travaux de ton concubin. Le temps t’a permis de devenir toi-même un daddy, voire un granddad, plus vieille que notre Ordre, plus vieille que la pandémie. Nos vœux sont communs et nos luttes sont intriquées. Nous nous retrouverons : pour célébrer nos adelphes au Paradisco, pour unir les cornettes et les TROD et pour promouvoir la joie omniverselle dans les manifs. Salut copine et merci pour tout, Le Couvent du Nord Lucas.
Pédés, tapettes, tantouzes et autres folles te pleurent aujourd’hui. Ces insultes qui nous ont blessé, qui toi t’ont tué, font partie de nos souvenirs communs. Avant même le premier baiser, avant même la première amourette. Les harceleur·ses t’ont enlevé le meilleur. Le moment où on découvre qu’on n’est pas seul ; qu’être efféminée, maniérée, flamboyante est une fête, celle que l’ont fait entre adelphes, celle où on sait que sous les paillettes se trouvent la rage et les blessures. Pour autant, nous savons que des copines t’attendent au Paradisco, Guillaume T., Dinah et toustes les autres. Aujourd’hui, nous aimerions que la contre soirée au Paradisco cesse. Nous ne voulons plus égrener nos rosaires, pour pleurer nos mort·es. C’est d’autant plus insupportable quand on voit les « hommages » rendus par celleux qui défilaient en première ligne avec la Manif pour tous, mouvement incitant à la haine LGBTQ+. Lucas, en ce jour nous te faisons le dernier adieu, que les portes du Paradisco te soient grandes ouvertes, que la fête pour toi soit éternelle, les tiennent t’attendent, prêtes à t’accueillir tel que tu es. Cher Guillaume,
Tu avais 20 ans. Tu étais plus jeune que notre ordre, que notre Couvent, que n’importe laquelle d’entre nous. La logique aurait donc voulu que nous arrivions avant toi au Paradisco, où nous t’aurions préparé une fête digne de ce nom, mais tu nous as devancé. Fin janvier, tu as eu le courage de raconter ton viol, de dénoncer tes agresseurs, dont Maxime Cochard, conseiller PCF à la Mairie de Paris, qui n’a eu pour unique réponse que de porter plainte pour diffamation. Cette mairie qui est décidément bien accueillante avec ses agresseurs, puisque Christophe Girard, accusé d'agression sexuelle, et soutient de l'écrivain pédophile Gabriel Matzneff, a repris son poste en décembre, alors qu’Alice Coffin, qui a pris position contre Christophe Girard, a elle bien été lynchée sans excuse. Mais toi, lorsque tu as parlé, tu as été une étincelle pour des milliers avec le #MeTooGay. Tu es devenu notre jeune homme en feu et c’est ce portrait que nous voulons garder de toi. Celui d’un militant radical, prêt à soulever les foules. Parce qu’il faut souligner ta dernière action avec tes potes, pas la moindre : grâce à votre rage et votre amour, vous avez mobilisé 4000 personnes sur le parvis de cette mairie honnie pour dire oui à la PMA pour tou·tes et ça, c’est sublime. Si aujourd’hui nous te pleurons, nous savons que demain nous nous retrouverons. Alors, muni de la couronne de lumière que tu portais à noël, nous espérons que tu sauras nous faire un accueil dont Sainte Pouffe se souviendra pour longtemps. Nous poursuivrons le poing levé, ensemble pour te célébrer, pour que les victimes ne soient plus silenciées et que les agresseurs cessent de triompher. |